ALDEIA DA LUZ

POUR QUE L’EAU SOIT GRANDE

 

Septembre 2000

 

Depuis la décision politique de construire un barrage sur le fleuve GUADIANA au Portugal,

LUZ, petit village de l'Alentejo, posé au creux des vallons, va disparaître, noyé.

(1926, les premiers ingénieurs viennent repérer le terrain.1958, premières décisions politiques.1974…)

Le fleuve prend sa source en Espagne et pour une meilleure gestion de l’eau

dans la péninsule ibérique, la plus grande étendue d'eau d'Europe, 250 km2,  va être réalisée.

Suite à une expérience précédente désastreuse (autre barrage, autre village au nord du Portugal),

il a été décidé de construire à "l'identique" un nouveau village à quelques kilomètres de l'ancien,

et d'accompagner environ 400 villageois de tout âge dans cette  épreuve.

Responsables politiques, psychologues, médecins, médecins légistes, architectes, équipes techniques

ont la charge de cette opération.

                                    

Retrouver une terre, une maison, un village à "l'identique" !

Une certaine confiance s'installe au début. Il faut bien s'appuyer sur des éléments positifs pour surmonter

le choc d'un futur départ.

Puis viennent les interrogations.

Un village au sommet d'une colline ? l'ancien lové au creux d'une dépression ? Géographie, paysages ?

et les arbres ? et la chaleur ? et le froid ? et les animaux qui donnent lait et viande

pour préparer le repas traditionnel et fabriquer le bon fromage de chèvre qui accompagne

le copo de branco ou de tinto ?

Cahier des charges ! Cette étendue d'eau ? comment la nature va réagir ? Température, hygrométrie ?

décomposition des végétaux ? Et la faune et la flore ? et nos morts ?

Et les eaux vont-elles bien recouvrir le village ? Et les locataires, qui prend en charge ?

 

En attendant les réponses, les villageois poursuivent leurs activités et entretiennent patiemment LUZ

et leurs maisons - peinture des façades à la chaux, réparations diverses, nettoyage des rues - et perpétuent

le rituel des rencontres sur la place centrale, en soirée, pour discuter, en posant un regard sur le passage

des nouveaux touristes.

 

En effet, ici, tout paraît paisible. Mais derrière cette apparente tranquillité, règne un calme fragile.

La pression si  forte venue de l'extérieur, l'impuissance à détourner le cours des événements

provoquent avec le temps une violence intérieure et déterminent, suivant l'éducation,

la condition sociale, les influences, cette capacité à analyser et à surmonter les désordres qui s'installent

dans les esprits et dans les corps. Depuis de nombreuses années, les dissensions se font jour, et le village vit

au rythme des procès, des négociations et des accords, alors même que les différents chantiers avancent ;

barrage d'Alqueva, chantier du village Nova-Luz, déforestation…

 

Septembre 2001

 

A NOVA LUZ, pour tenir le planning annoncé, tout se déroule dans la rapidité.

(il faut que les villageois emménagent pour 2002)

Il est difficile pour les entreprises de construire dans les délais un village comprenant plusieurs centaines

de maisons et un ensemble d’édifices publics. Les entreprises embauchent une main d'œuvre intérimaire.

Sénégalais, Angolais, Russes, Roumains, Ukrainiens, Maghrébins et Indiens de New Delhi

ou du Pendjab se retrouvent ensemble pour travailler sur le chantier ; Ils sont maçons, électriciens, plombiers, plâtriers, carreleurs, peintres, couvreurs ou conducteurs d'engins.

 

Les plans sont devenus « réalité » et les avis divergent sur les constructions et le choix des matériaux.

Concernant les édifices publics - églises, Junta de Freguesia, école, salle de sports, praça de touros, musée - apparente satisfaction de tous ! pour les maisons les villageois ont des avis partagés, pour les uns c’est  bien, pour les autres, d’autres termes sont employés ; probléma, merda…

C’est vrai que le nouveau village ne ressemble pas à l’ancien et au moindre problème, pour certains, ce sont

les mêmes maux qui surgissent ou ressurgissent, « souhait de ne pas quitter l’ancien village »,

« pensées contradictoires »… et interrogations sur les décès de personnes âgées plus nombreux chaque année.

 

Août 2002

 

Autour de l’ancien village, la déforestation avance. Les collines recouvertes de chênes verts,  chênes lièges, pins et arbustes odorants appelés « Esteva » disparaissent. De vastes étendues apparaissent, poussiéreuses sous un soleil de plomb.

 

Les déménagements sont presque terminés. L’avenir de Luz est incertain.

Aux dernières nouvelles, c’est la  démolition qui est envisagée.

 

A Nova Luz, les villageois  apprennent à vivre dans leurs nouvelles maisons. Chacun s’y installe et s’approprie l’espace, l’aménage, dépose quelques pots de fleurs devant des façades éclatées par le soleil sur d’interminables trottoirs.

 

 

 Avril 2003

 

Il ne reste rien de l’ancien village. Juste de la terre et les traces des chenilles de Bulldozers. L’eau vaste comme une mer intérieure avance et recouvre le sol qui devient un fond.

 

 II restera le temps pour dire…

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